Une intégration qui vire à la désintégration. Voici ce que raconte Palavie, une pièce sur l’exil écrite par Valérie Poirier et mise en scène par Julien George. Au coeur du récit, Arlette, pied-noir débarquée d'Algérie. La jeune femme (Marie Druc) est si soucieuse de ressembler à « tout le monde », c’est-à-dire aux habitants d’une ville suisse « où ne poussent que des sapins », qu’elle enferme son fils (Fred Landenberg) dans une spirale infernale et met en péril son propre équilibre mental. L'affaire est douloureuse. Mais elle est aussi joyeuse. Car l'auteure romande Valérie Poirier aime tant ses personnages qu'elle leur aménage des espaces pour respirer. Même idée dans la mise en scène. Aucun accablement, mais une direction de comédiens raffinée et des trouvailles visuelles - le lit vertical, la pluie de chaussure, les carrés de lumière - qui allègent le traitement. Entre rêve et réalité, récit rapporté et dialogues, on navigue joliment sur la crête des sentiments. Un théâtre de l'intime qui évoque le tourment du déplacement forcé, sans le dramatiser à l'excès.
Quadragénaire genevois, Julien George redonne ses lettres de noblesse au classicisme. A l'image de Jean Liermier, directeur du Théâtre de Carouge, cet artiste ne cherche pas à révolutionner les formes théâtrales, mais à traduire au mieux les qualités des textes qu'il met en scène. Récemment, Julien George a enchanté le public romand avec une Puce à l'oreille de Feydeau réglée au souffle près. Il n'y avait pas chez lui la volonté de réactualiser ou de réinterpréter cette mythique pièce de boulevard, mais de la donner dans sa pleine dimension comique. Pour Palavie, l'enjeu est identique. Par de fines touches, des déplacements subtils, des éclairages savamment dosés ou encore un travail sonore d'une rare délicatesse, Julien George fait affleurer le vertige du déracinement sans le marteler. On salue cette retenue qui, l'air de rien, marque en profondeur le spectateur.
Marie-Pierre Genecand