C’est l’histoire d’une glissade en pente douce dans l’enfermement domestique. Lorsqu’il écrit ces petites pièces en un acte vers 1910, Georges Feydeau est un solitaire égaré. Il a quitté sa femme pour se réfugier à l’Hôtel Terminus, et ses derniers textes infusent dans une acide amertume. Le maître du vaudeville délaisse alors les cavalcades du mensonge et de l’adultère pour dire la glue de la fidélité. L’usure. Les chamailleries. Le règne du pot de chambre. Didier Bezace, directeur du Théâtre de la Commune d’Aubervilliers, a fait de trois pochades matrimoniales une seule tragi-comédie. Sans forcer les textes, sans oublier les ressorts comiques tendus par l’auteur. Il écoute Feydeau, et prend pourtant le spectateur à rebrousse-poil. Pas de péripéties échevelées ici, pas de stéréotypes non plus: Madame n’est pas une enquiquineuse frivole qui harcèle un mari crétin sur les bords. C’est un couple (Anouk Grinberg et Thierry Gibault) qui a envie d’être ensemble et qui n’y arrive pas. Des êtres authentiques avec qui on fait trois tours de manège dans une scénographie ludique. Première escale, Léonie est en avance: Monsieur et Madame espèrent un heureux événement huit mois après les noces; Feu la mère de madame: ils convolent depuis deux ans; On purge Bébé: bébé à sept ans. Didier bezace a décidé d’aimer ces personnages, et donc de travailler à la fois sur la drôlerie et sur la blessure. Sous sa direction, les comédiens font de la scène de ménage un avatar lancinant du désir amoureux. Ils s’épuisent pour s’adapter au réel, et entretiennent avec la bêtise de la vie des rapports qui nous secouent. Pas seulement de rire.
