Journal

Entretien avec le Collectif BPM

Regards de la dramaturge

Arielle Meyer MacLeod

À l'occasion de notre focus Benno Besson, rencontre avec le Collectif BPM qui présente la création hommage Vers l'Oiseau vert du 9 au 20 novembre 2022 à la Comédie de Genève.

©Anouk Schneider

Catherine, Léa, Pierre, pourriez-vous nous présenter le Collectif BPM (Büchi - Pohlhammer – Mifsud) ?

Nous sommes un trio – deux comédiennes et un comédien – qui concevons nos propres spectacles et dont le travail se concentre autour du désir de sauver de l’oubli un passé qui n’est plus.

Depuis 2013 nous menons un projet, La Collection, composé d’une suite de courtes pièces dédiées chacune à un objet obsolète : La K7 audio, le Vélomoteur, le Téléphone à cadran rotatif, le Téléviseur à tube cathodique, le Service à asperges.

Une entreprise joyeuse, sauvage et appliquée, sans la moindre nostalgie !

Vers l’Oiseau vert s’inscrit dans la continuité de notre Collection.


L’Oiseau vert a été pour beaucoup d’entre nous une sorte d’épiphanie. Selon l’âge que nous avions les uns ou les autres au moment de sa création, ce spectacle n’a sans doute pas agi sur nous de la même manière. Quelle place tient L’Oiseau vert dans vos parcours respectifs ?

De nous trois, Léa est la seule à avoir eu le privilège de découvrir cet oiseau rare lors de sa création à la Comédie de Genève, dans des conditions particulières qui plus est.

Elle avait alors 6 ou 7 ans. Petite-fille de cœur du scénographe Jean-Marc Stehlé, elle a assisté à plusieurs représentations avant de découvrir l’envers du décor aux côtés de son grand-père – il lui a fait visiter le plateau et toute la machinerie sous la lumière des éclairages de service. Elle garde de cette expérience un souvenir mitigé : suscités par les différents artifices, la magie et le merveilleux avaient disparu sous l’éclairage froid des néons. Elle a alors réalisé, avec déception, que le théâtre est un art de l’illusion, et s’est sentie dupée, arnaquée… C’était pire que la mort du Père Noël, dit-elle.

Avec le recul, évidemment, Léa a compris que la force du théâtre vient justement de cette aptitude à créer de l’illusion en usant de moyens plus ou moins sophistiqués qui vont de la ficelle au trompe-l’œil, de la tournette au contrepoids en passant par le vérin hydraulique. Le théâtre transforme le plomb en or.

Quant à Catherine et Pierre, ils ont découvert l’univers de Benno Besson à travers Le Roi Cerf et Le Cercle de Craie caucasien.


Votre titre, par un joli jeu de mots, indique un mouvement, Vers l’Oiseau vert, comme si vous alliez nous emmener avec vous dans une exploration… Est-ce ainsi que vous envisagez votre spectacle ?

Nous voulions parler d’un théâtre du merveilleux qui tend à disparaître et cherchions une pièce qui illustre ce théâtre-là. Très vite les mises en scènes de Benno Besson ont été évoquées et, au fil des conversations, L’Oiseau vert s’est imposé comme une évidence. Peut-être à cause du caractère insaisissable du fameux petit volatile, ou de la complexité de l’intrigue qui propose des situations extrêmes, ou encore de la farce qui côtoie la magie, la philosophie et la féerie.

Alors oui, nous voulons aller vers, tendre vers cela… Tenter de rassembler les pièces d’un puzzle, retrouver des sensations, des images, des gestes, rendre compte d’un temps qui n’est plus en empruntant des points de vue et des chemins différents.

Aller vers, c’est essayer, hésiter, insister, se tromper, recommencer… C’est se mettre en mouvement, en route !

C’est ainsi que nous construisons notre univers. Nous revendiquons la tentative.


Y a-t-il dans votre projet le désir de faire un « remake » de L’Oiseau vert ?

Si on entend par REMAKE, RE-FAIRE… alors pas du tout !

Bien sûr nous aimerions que les personnes qui ont vu L’Oiseau vert en reconnaissent la scénographie, mais qu’elles soient aussi embarquées par la singularité de notre proposition. 

Nous n’avons pas la capacité, ni surtout l’intention, de refaire le spectacle tel qu’il a été créé. Il s’agit plutôt de faire sa fête à L’Oiseau vert de Benno Besson, à ce théâtre généreux, minutieux, fantasque, baroque et irrévérencieux. De vivre le plaisir de jouer dans une évocation libre et joyeuse. De mettre aussi à l’honneur le travail des artisans, des techniciennes, des machinistes qui œuvrent dans l’ombre et sans lesquels rien ne serait possible, tous ces métiers, ces savoir-faire si précieux qui tendent pourtant à disparaître.

La scénographie de L’Oiseau vert agit dans notre histoire comme un personnage, que nous découvrons, transformons en tirant sur des fils, qui peut aussi nous surprendre, nous échapper, nous déstabiliser, voire nous effrayer.

Nous ne sommes pas forcément maître et maîtresses du jeu ni de l’histoire.

Le nombre limité d’interprètes sur le plateau nous oblige à jouer plusieurs personnages, nous allons donc prendre certaines libertés, user d’astuces et d’inventivité. Certaines parties de la fable, par exemple, seront citées ou racontées. Nous allons expérimenter le plaisir d’un théâtre totalement engagé, inspiré par les codes de la Commedia dell’ Arte et de la farce.

Nous voulons tirer parti de toutes ces contraintes, explorer des pistes pour créer du jeu et, nous l’espérons, du plaisir.


Une partie de la magie de L’Oiseau vert tenait au décor fabuleux de et aux masques tout aussi légendaires de Werner Strub. Comment allez-vous vous emparer de ce matériau ?

Nous avons fait appel au scénographe Fredy Porras qui revendique dans son travail l’héritage laissé par Jean-Marc Stehlé et Werner Strub qu’il considère comme des maîtres.

Fredy a fait un travail de recherche considérable pour comprendre comment fonctionnait cet incroyable objet scénographique.

Nous avons rencontré avec lui des techniciens et régisseurs de plateau qui ont accompagné les créations de Benno Besson. C’était passionnant. Tous ont gardé une passion intacte pour leur métier et sont toujours animés par le plaisir d’inventer.

En retenant les éléments qui nous semblaient essentiels, Fredy, accompagné d’une équipe d’artistes artisans (menuisiers, ferronniers, tapissiers, peintres…), propose non pas une imitation mais une interprétation de ce décor de théâtre.

Notre démarche consiste à poser notre regard sur cet objet scénique, à laisser deviner parfois certains rouages normalement tenus secrets, comme si l’on osait soulever le capot de la grosse machine… On se laisse parfois surprendre par une mécanique qui s'emballe.

Les masques seront aussi travaillés, nous avons opté pour des demi-masques assez proches de nos visages respectifs, avec un ou deux détails saillants.


Est-ce que cette nouvelle création s’inscrit dans la même veine que votre série, drôle et inventive, intitulée La Collection ?

Au départ nous avons créé La Collection pour concevoir des spectacles de bout en bout, des pièces courtes et faciles à tourner dont la scénographie se limitait à trois chaises. Avec Vers l’Oiseau vert nous prenons nos quartiers sur l’immense plateau de la Comédie avec un décor imposant, des costumes, des masques et pas mal d’effets techniques.

Après la Collection XS, Bienvenue au modèle XXXL!

Mais tout l’enjeu est de garder le même état d’esprit dans le travail afin de ne perdre ni le plaisir, ni la connivence qui nous animent. Nous sommes tous les trois mus par un même esprit de découverte et traitons chaque détail avec la même application. À nos yeux, il n’y a pas de grands et de petits sujets. Que nous soyons sur scène ou dans la vie, nous aimons nous confronter aux petites choses insignifiantes comme aux grands carambolages de l’existence – les accidents de la vie, les imprévus, les contraintes, tout ce qui offre matière à jouer.