Journal

Tout commence

Coulisses

Édito de Natacha Koutchoumov & Denis Maillefer (NKDM)

Tout commence.

Tant d’années après, grâce à celles et ceux qui nous ont précédés, à celles et ceux qui, dans la foulée visionnaire de Matthias Langhoff, ont eu le désir de croire et rêver, penser, construire ce théâtre. De se battre aussi. 

Tant d’années après, un théâtre sort de terre, ouvre ses portes. Un bâtiment, une fabrique pour construire des rêves et ouvrir les cœurs. Un endroit pour les possibles. Après trente ans et aussi la période que l’on sait : nous y sommes. 

© Régis Golay - Federal Studio

La Comédie de Genève aux Eaux-Vives est une fabrique d’imaginaire illimité au cœur de cette cité si spécifiquement multiculturelle qu’est Genève. Parce que cette ville et ce pays nous ont appris l’ouverture, parce que nous avons été biberonnés aux valeurs d’Henry Dunant et trouvons normal d’entendre douze langues différentes dans le bus. Nous sommes fières et fiers de cette ville kaléidoscope qui se construit par l’autre. Nous voulons créer un théâtre à l’image de cette ville et de ce quartier des Eaux-Vives en pleine métamorphose. 

Nous ouvrons les portes : deux salles de spectacles, des ateliers pour construire les décors, fabriquer les costumes, un restaurant, des comédiennes et comédiens, des artistes de Suisse et de partout, des facilitateurs et facilitatrices dans les bureaux, juste à côté du plateau, des artisans de la scène, pour inventer le théâtre d’aujourd’hui. Un théâtre d’utilité publique. Un lieu de vie, aussi. Des espaces ouverts la journée. Ouverts aux pratiques spontanées dans les couloirs, danse hip-hop ou jonglage, lecture sur un banc. Des passerelles pour franchir le seuil  : « le Pont des Arts », ainsi est baptisée notre action culturelle, pour accompagner des classes, proposer des séminaires de réflexion, des ateliers, faciliter l’accès au théâtre pour les personnes en situation complexe, donner la parole, littéralement, à celles et ceux qui la maîtrisent moins bien, ouvrir le théâtre des dimanches entiers, et mille autres activités pour briser les barrières et les préjugés. Pour vivre ensemble, un peu, beaucoup. 

Sur le plateau, une première saison. Des artistes qui s’emparent des mythes, des classiques de théâtre et de cinéma, qui écrivent avec et pour leurs interprètes, au présent. Des artistes qui vont irriguer les murs de joies immenses et de rages non moins immenses, afin de les baptiser de vos larmes et rires. Un spectacle, pensons-nous, peut déplacer chacun et chacune d’entre nous, profondément, intimement. Il peut, comme Charles-Ferdinand Ramuz dans Passage du poète, comme Jim Jarmusch dans son film Paterson, insuffler en nous la beauté, le courage, changer notre regard sur nous-mêmes, les autres, le monde. Que chacun et chacune d’entre nous soit déplacé et nous déplacerons des montagnes. 

Nous avons besoin du théâtre, de ce théâtre. Parce que nous avons besoin, plus que jamais, de récits ensemble partagés. Nous avons besoin que l’on écrive pour et avec nous nos récits contemporains. Nous avons besoin de nous sentir uniques, ensemble. Faire du théâtre aujourd’hui, c’est écrire notre roman commun à toutes et tous. Avec des partenaires et surtout des artistes que l’on aime et qui ont envie de le faire. Tout commence, tout recommence. 

Cette première saison est dédiée à Jean-Michel Broillet et Dominique Catton, artisans avec d’autres au sein de l’Association pour la nouvelle Comédie de l’utopie réalisée de ce nouveau théâtre, qu’ils n’auront hélas pas vu achevé. 

Et nous avons aussi une pensée pleine d’admiration et de reconnaissance pour celles et ceux qui, de leurs mains, ont construit ce bâtiment. 

NKDM — Direction Natacha Koutchoumov & Denis Maillefer