la langue des signes russe au théâtre / âge conseillé : dès 15 ans / durée 4h20 (avec trois entractes)
Ici c’est le bruit assourdissant de l’émotion qui vous submergera, car pratiquement aucun mot n’est échangé par ces actrices et acteurs qui disent tout en ne disant rien. Pendant une année, cette troupe sibérienne dirigée par Timofei Kouliabine a appris la langue des signes russe. La partition tient LE rôle principal de ce spectacle. Les enjeux et les ressorts de la pièce ainsi mis à nus nous laissent voir la cartographie écorchée des relations entre les personnages.
Timofei Kouliabine ne réécrit pas Les Trois Sœurs, il les traduit. Dans une langue particulière qui utilise des voies inhabituelles. Il traduit Tchekhov en langue des signes.
Une langue théâtrale
Le langage des signes est une langue à part entière, à la syntaxe spécifique, qui emprunte un canal différent des langues orales, reliant le geste et la vision.
Une langue hautement théâtrale en somme, parce qu’elle est avant tout visuelle. Ici, pour se parler il faut se voir, pour écouter il faut regarder. Dès lors, dans le silence animé des conversations muettes, on entend les corps qui se touchent et s’agitent pour capter l’autre, son regard – et donc son attention –, on entend les corps se voir et se comprendre, et puis s’immobiliser soudain, tendus dans l'écoute, à l’affût des mots signés qui traversent le silence.
Dans ce silence, non seulement le texte se détache de façon cristalline, palpable presque, mais une lecture nouvelle de Tchekhov affleure. Le monde disloqué qui est le sien, dans lequel les liens sont défaits et le dialogue atomisé, cette dramaturgie du fragment dont il est le précurseur et qui témoigne du décousu de la vie, Kouliabine, en quelque sorte, lui redonne un centre. Parce qu’ici, dans cette fiction où les personnages ne peuvent s’entendre, et bien les êtres se parlent, pour la première fois peut-être. Parce que dans cette langue particulière qui est la leur, il n’est pas possible de s'exprimer « à la cantonade », de lancer des répliques dans le vide. Non, il faut harponner l’autre, aller le chercher, physiquement, lui adresser, au sens fort, son discours. Tout l’inverse d’un dialogue de sourds en somme. Plutôt que d’accentuer la dimension éclatée de l’écriture tchekhovienne qui dit le délitement du monde et des êtres, Kouliabine crée un univers dans lequel semblent évoluer les passagers d'une embarcation certes en perdition, en danger de dispersion, mais qui ne cessent de se battre pour ne pas se perdre, qui tentent avec une énergie inédite de colmater les brèches, pour sauver encore quelque chose d’une vie qui part à vau l’eau. Jamais sans doute la dernière réplique de la pièce, « nous vivrons », n’a résonné aussi justement. Dans le silence.
avec : Ilia Mouzyko, Anton Voïnalovitch, Klavdia Katchoussova, Valeria Kroutchinina, Irina Krivonos, Daria Iemelianova, Linda Akhmetzianova, Denis Frank, Alexeï Mejov, Pavel Poliakov, Konstantin Télégine, Andreï Tchernykh, Sergeï Bogomolov, Sergeï Novikov, Ielena Drinevskaïa
thématiques : le langage, la réécriture, le temps qui passe, les désespoirs amoureux, l’ennui, l’amour, l’autonomie, le travail
activités pédagogiques : dossier d’accompagnement pédagogique, présentation dans la salle de cours, visite du théâtre, atelier jeu