Journal

Danser avec l'absurde

Regards de la dramaturge

Autour du spectacle "Monster Truckiller"

À l'affiche du 17 au 20 janvier 2024 à la Comédie de Genève, dans le cadre du Focus S'élancer, Monster Truckiller est un spectacle déroutant et drôle dans sa beaufitude assumée qui, par les détours et les atours de la parodie, offre une incroyable densité au rien. Décryptage par Annick Morard.

Dans un sous-sol un peu miteux, des jeunes gens tout juste sortis de l’adolescence animent une émission de radio entre deux parties de jeux vidéo. Ils sont là, tout simplement, indolents mais pas méchants. Candides, certainement. Ils attendent quelque chose de la vie, mais ne savent pas encore quoi exactement, ni quand, ni , ni si cela adviendra.

En attendant, ils zonent sur leur canapé vieillot et poussiéreux, mangent du poulet en se léchant les doigts, regardent l’heure tourner, échangent quelques banalités avant de reprendre leur micro, avec une énergie et une joie inattendues. Ils ont cet enthousiasme propre à la jeunesse, qui retombe aussi vite qu’il est monté et qui s’accroche à de tout petits détails. Ils ne font pas grand-chose, certes, mais ils le font bien et y mettent tout leur cœur.


Une danse avec l’absurde
Bienvenue dans l’univers décalé de You should meet my cousins from Tchernobyl, une compagnie qui ose un théâtre presque dépourvu d’action mais jamais ennuyeux, un théâtre qui danse avec l’absurde. On se dit parfois qu’ils attendent Godot, ou peut-être Shakespeare, ou peut-être leur mère. À moins que ce ne soit John Carpenter, David Cronenberg ou quelque autre star du cinéma d’horreur ? Leurs spectacles sont en effet nourris de pop culture américaine, de musique « lo-fi » (comprenez « basse fidélité »), de séries B et de séries Z, qu’ils parodient avec amour, avec humour. Un humour décalé, désaxé, qui laisse le public parfois bouche bée.


Une vie au ralenti
Avec Monster Truckiller, deuxième pièce de cette jeune compagnie, Isumi Grichting et Christian Cordonier creusent le presque rien, l’anecdotique, avec une beaufitude assumée qui les rend incroyablement attachants. Ils prennent le contre-pied absolu d’un théâtre chatoyant, excessif, perfectionné ou perfectionniste, auquel ils préfèrent la spontanéité et la franchise d’un geste maladroit ou approximatif. Ils parlent de la jeunesse d’aujourd’hui, une jeunesse somme toute moins désœuvrée qu’il n’y paraît, mais qui prône une vie au ralenti, un art de la patience, un plaisir du « chill-out ». Une oisiveté tranquille, entre amis qui parlent un même langage : ce sera l’anglais, bien sûr, mais un anglais passé par la mondialisation et la moulinette des logiciels de traduction, un anglais « lo-fi », lui aussi, un anglais comme à la maison, même si à la maison, on ne parle pas anglais.


Annick Morard
Responsable des publications de la Comédie de Genève