Un atelier pour les petits, une conférence pour les grands, un brunch pour tout le monde
« Il y a donc des pays sans lieu et des histoires sans chronologie ; des cités, des planètes, des continents, des univers, dont il serait bien impossible de relever la trace sur aucune carte ni dans aucun ciel, tout simplement parce qu’ils n’appartiennent à aucun espace. Sans doute ces cités, ces continents, ces planètes sont-ils nés, comme on dit, dans la tête des hommes, ou à vrai dire dans l’interstice de leurs mots, dans l’épaisseur de leurs récits, ou encore dans le lieu sans lieu de leurs rêves, dans le vide de leurs cœurs ; bref, c’est la douceur des utopies ».
Ces mots sont de Foucault, l’incipit d’un petit texte étonnant : Les Hétérotopies.
A bien des égards une description des Trois Sœurs.
Car si le lieu rêvé a ici un nom, Moscou, si ce nom correspond bien à un endroit répertorié sur un atlas, il n’en a précisément que le nom. Moscou est moins une cité réelle qu'un vocable, un titre pour dire l’ailleurs, l’ailleurs intérieur, l’ailleurs fantasmé, le déplacement rêvé de soi-même, l’aspiration vers un idéal, un nom chargé d’une désillusion à la hauteur de l’espoir qu’il suscite. C’est l’U-topie, le lieu sans lieu. Dans cette utopie, l’espace se décompose et le temps se dissout. A vouloir être ailleurs le temps passe inexorablement ; le présent, gonflé de toutes les attentes d’un futur hypothétique, glisse entre les doigts et se révèle être déjà du passé.
C’est le drame des Trois sœurs. Celui de la condition humaine peut-être. Moscou, le lieu de l’utopie ?
Georges Banu
Essayiste et critique théâtral, Georges Banu est professeur émérite à l’Institut d’Études Théâtrales de l’Université Paris-III.
Co-directeur de la collection Le Temps du Théâtre aux éditions Actes Sud, il est l’auteur d’ouvrages de référence consacrés au théâtre et à la peinture – Le Rideau, L'Homme de dos, Nocturnes, La porte, Au cœur de l'intime (Éd. Arléa) — ainsi qu’aux figures emblématiques de la mise en scène contemporaine comme Peter Brook, Patrice Chéreau, Luc Bondy ou Thomas Ostermeier.
Grand lecteur de Tchekhov, il a publié Notre théâtre, La Cerisaie (Actes Sud) et tout dernièrement Tchekhov (Ides et Calendes).
Il a reçu en 2014 le Grand Prix de l’Académie française.
Belinda Cannone
Romancière et essayiste, enseigne aussi la littérature comparée à l’université de Caen. Son dernier roman, Nu intérieur, a été publié aux éditions de l’Olivier en 2015. Parmi ses essais régulièrement réédités on trouve L’Ecriture du désir (Prix de l’Académie française 2001, « Folio ») ; Le Sentiment d’imposture (Prix de la Société des gens de lettres 2005, « Folio »), Petit éloge du désir (« Folio 2 euros ») et La bêtise s’améliore (Pocket, « Agora »). Son dernier essai s’intitule S’émerveiller (Stock, 2017). Elle a écrit un essai sur les femmes et les féminismes en 2010 (La Tentation de Pénélope, Stock), réédité chez Pocket en 2017.