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Carnet de création : dans les arcanes de "Où est ma maison ?"

Carnets de création

Le collectif au travail

Par Arielle Meyer MacLeod

Le collectif de la variation 1 (© Magali Dougados)

Le collectif éphémère

Un tsunami viral, et voilà : notre déménagement, tant attendu, tant préparé, tant rêvé, est repoussé de six mois. Et avec lui, six mois de créations taillées pour le plateau de la nouvelle Comédie, six mois de spectacles que nous avions programmés et qu'il a fallu, Covid oblige, repousser à plus tard.

Mais nous voulions vous retrouver, vous, notre public, retrouver aussi les artistes qui le temps d'une pandémie avaient déserté la maison, les actrices et les acteurs qui étaient engagés dans ces spectacles repoussés à plus tard et qui, du jour au lendemain, se sont retrouvés sans travail.

Notre belle Comédie des Philosophes, bien vide sans vous et sans eux, nous ne pouvions la quitter comme ça, sans lui dire au revoir, sans la faire résonner encore une fois d'un bruissement créatif.

Nous avons alors imaginé, comme ces voyages décidés en last minute sur une idée folle et qui souvent est la meilleure, nous avons imaginé une aventure extravagante : réunir des acteurs et des actrices, un collectif éphémère, et leur donner carte blanche pour inventer des variations, des "petites formes" comme on dit, des modules légers qui investiraient toute la maison, toute notre maison qui est encore, pour quelques mois, aux Philosophes.

Aline Papin, Attilio Sandro Palese, Charlotte Dumartheray, Joëlle Fontannaz, Marie-Madeleine Pasquier,  Pierre Banderet, Samuel Perthuis, Shin Iglesias, Jérôme Denis (© Magali Dougados)

3 séries

Cette carte blanche Où est ma maison ? se déploiera à la Comédie du boulevard des Philosophes pendant tout l'automne, en 3 variations :  la première, vous la verrez à partir du 7 octobre. Mais pendant que le collectif jouera le soir, il continuera de travailler la journée pour vous montrer la seconde variation à partir du 4 novembre, puis la troisième dès le 2 décembre.

Entre les variations, le collectif éphémère se transformera un peu. Agendas des uns et des autres obligent, certains artistes le quitteront tandis que d'autres le rejoindront.  

Notre Cerisaie ?

L'histoire d'une maison aimée que l'on quitte pour une autre, plus grande, plus moderne, pleine de possibles.

Une maison où néanmoins on laisse des souvenirs, des regrets peut-être aussi, des odeurs familières, des habitudes.

Une maison que l’on peine à quitter, dont le départ est sans cesse reporté. Va-t-on vraiment partir un jour ?

Une maison d'où l'on déménage en triant ce qu'on garde et ce qu'on jette.

Une maison à laquelle il faut dire au revoir.

En méditant sur ce thème que nous soufflait la maison des Philosophes, nous avons pensé à La Cerisaie de Tchekhov. Notre bientôt ancienne Comédie, c'est notre Cerisaie à nous.
Nous l'avons donc proposée à ces acteurs et actrices. Pas pour mettre en scène La Cerisaie, non, juste comme une inspiration, une inspiration à la fois joyeuse et mélancolique, un bol d'air russe.

Le personnage principal de la pièce de Tchekhov, c'est la maison. La maison de l'enfance entourée de cerisiers, la maison qu'on envisage de vendre au premier et au second acte, qui est vendue au troisième et qu'au quatrième on quitte. Un monument de notre panthéon d'amoureux du théâtre, et de Tchekhov, une pièce qu'on lit et relit, dont on a vu d'innombrables versions et adaptations sur les scènes, à la Comédie en particulier.

Certaines des actrices, et des acteurs, la connaissent par cœur, d'autres l'ont un peu oubliée – des bribes affleurent, différentes pour chacun, des images dont ils vont s'inspirer ou qu'ils vont peut-être laisser de côté, comme un livre de chevet qui revient par la fenêtre du rêve lorsqu'on la met à la porte de la conscience.
Quelques-uns voulaient la relire, d'autres pas, préférant croiser leurs propres désirs, et délires, avec ce qu'il leur reste de la pièce, les sédiments d'une histoire qui remontent lorsque l'on a tout effacé.  

Qu'est devenue La Cerisaie dans Où est ma maison ? Qu'en ont-ils fait, les actrices et les acteurs de notre collectif éphémère ? L'ont-ils oubliée, réaménagée ? Vendue peut-être ? Au détour de quel couloir de notre Comédie va-t-elle surgir ? Et sous quelle forme ?
Nous le découvrirons ensemble, au fil des trois variations de Où est ma maison ?

2 questions à Pierre Banderet et Joëlle Fontannaz

Cette expérience singulière est celle d'un collectif éphémère d'actrices et d'acteurs. Quel est votre rapport au collectif ?


Qu'est devenue La Cerisaie dans ce travail?

Dogma

"L'art naît de contraintes, vit de luttes et meurt de liberté" disait André Gide. On pourrait même ajouter que parfois, les contraintes ouvrent de nouveaux champs des possibles. Et des contraintes, il y en a dans ce projet.

La première est aussi une liberté : vous avez toute la maison à votre disposition, leur avons-nous dit – les loges, les couloirs, les ateliers, le foyer, la salle, le plateau, tout. Nous leur avons demandé non seulement d'utiliser ces différents lieux du théâtre mais aussi de créer un rapport particulier avec le public dans cet espace-là.

La seconde est liée aux circonstances : le matériel technique, les techniciennes et techniciens sont en plein déménagement pour les Eaux-Vives, il va donc falloir faire avec les moyens du bord, leur avons-nous dit encore, vous avez donc toute la maison, mais (presque) pas de technique.

Et puis la dernière tient évidemment aux contraintes sanitaires : respecter entre eux les 1m50 réglementaires, et créer une circulation qui permette la distance dans le public.

Toutes et tous se sont prêtés au jeu. Les premiers jours déjà, ils faisaient bouillir la marmite d'une profusion d'idées, une profusion qu'il a fallu gérer pour trouver un dispositif qui tienne compte, dans ce groupe éphémère, des univers, des façons de travailler et des rêves de chacune et chacun.