Journal

Votre théâtre aux Eaux-Vives

Une fabrique d'imaginaire

La Comédie de Genève aux Eaux-Vives est une fabrique d’imaginaire illimité au cœur de cette cité si spécifiquement multiculturelle qu’est Genève.


Un projet artistique ambitieux, local, inclusif et engagé

La metteuse en scène, comédienne, musicienne, Séverine Chavrier dirige depuis le 1er juillet 2023 la Comédie de Genève.

Ancienne directrice du Centre Dramatique National d’Orléans, Séverine Chavrier connaît bien Genève pour y avoir étudié la musique et grandi en France voisine (Grand Genève). Pour la Comédie de Genève, elle propose un projet et un langage nouveau à partir du socle existant, prenant aussi appui sur la région, les institutions et les artistes suisses.

Parmi les grandes orientations de son projet : la promotion des femmes sur le grand plateau, l’apport de diverses formes artistiques (musique, cinéma, danse, nouveau cirque), l’inclusion, l’insertion professionnelle des jeunes et la transition écologique artistique.

« Une telle nomination constitue un vrai honneur autant qu’un défi. Je me réjouis de développer un projet ambitieux, particulièrement attentif à la création romande et à son articulation avec la scène internationale, à la présence des femmes, à la jeunesse et aux enjeux de durabilité. J’y défendrai un art vivant d’artistes dont l’authenticité subjective fait la part belle à la littérature, à l’image, au geste et aux corps. En m’appuyant sur l’élan donné par l’actuelle direction portée par Natacha Koutchoumov et Denis Maillefer (NKDM), j’entends faire de la Comédie un lieu de création, de réflexion, en prise avec l’évolution du monde et ouvert aux enjeux d’aujourd’hui, notamment d’inclusion et d’insertion professionnelle, un lieu de vie, de débats, de rencontres, ouvert sur la Ville et ses habitantes et habitants. Le plateau de théâtre représente à mes yeux un lieu de conciliation, voire de réconciliation entre diverses passions. » Séverine Chavrier

Un lieu de création et de vie

Deux salles de spectacles, des ateliers pour construire les décors, fabriquer les costumes, un bistrot, des comédiennes et comédiens, des artistes de Suisse et de partout, des facilitateurs et facilitatrices dans les bureaux, juste à côté du plateau, des artisans de la scène, pour inventer le théâtre d’aujourd’hui.

Un théâtre d’utilité publique. Un lieu de vie, aussi. Des espaces ouverts la journée. Ouverts aux pratiques spontanées dans les couloirs, danse hip-hop ou jonglage, lecture sur un banc. Des passerelles pour franchir le seuil : le Pont des Arts, ainsi est baptisée notre action culturelle, pour accompagner des classes, proposer des séminaires de réflexion, des ateliers, faciliter l’accès au théâtre pour les personnes en situation complexe, donner la parole, littéralement, à celles et ceux qui la maîtrisent moins bien, ouvrir le théâtre des dimanches entiers, et mille autres activités pour briser les barrières et les préjugés.

Pour vivre ensemble, un peu, beaucoup.

Un théâtre ouvert sur la Cité

Ce nouveau bâtiment a été pensé et conçu par l’Agence FRES. Ils ont imaginé une fabuleuse machine à élaborer et fabriquer des spectacles, un théâtre ouvert sur la Cité.

La Comédie du XXIe siècle, c’est d’abord une longue silhouette découpée, figure majeure du nouveau quartier de la gare des Eaux-Vives. Sobre la journée, elle revêt le soir son habit de lumière. Les façades longitudinales se présentent en carreaux de verre de 2,70 x 1,10 m. Des mensurations identiques sont reprises pour les cassettes de tôle d’aluminium perforée qui habillent les autres façades et couvrent les toitures, dessinant un ruban qui enveloppe le bâtiment. Ces cassettes qui filtrent la lumière du soleil peuvent être ouvertes dans les espaces de travail.

Tout le plan du bâtiment est basé sur une trame de 5,40 m, comme celle utilisée à la gare voisine, conçue par Jean Nouvel. Un choix qui offre tout à la fois une forme d’harmonie et une garantie de maîtrise des coûts puisqu’il correspond à des éléments de construction standard.

Les architectes aiment à comparer le bâtiment à une montre au mécanisme apparent. Entre intérieur et extérieur, se jouent en effet nombre d’interactions. Le verre des façades permet de voir une partie des circulations internes, d’imaginer les activités des lieux. À la lumière du jour, il fait aussi du bâtiment le miroir des alentours.

Le théâtre, longé par une voie verte transfrontalière (piétons et cyclistes), voisin d’une gare, offre aussi un cheminement possible d’un niveau de quartier à l’autre, en traversant son vaste foyer ; à la belle saison, le restaurant ouvre sa terrasse sur l’esplanade.

L’accès du public se fait principalement depuis cette esplanade, côté sud-est. Dans le hall, aussi long que le bâtiment, l’espace est scandé par la structure de métal clair de la verrière et le haut plafond de béton dessine en négatif le crénelé de la façade. Ici, l’enveloppe thermique correspond au mur intérieur alors que sur la façade opposée le double vitrage isole trois niveaux de galeries. Celles-ci desservent les différentes parties du bâtiment. Les murs porteurs intérieurs permettent d’amples porte-à-faux, dans les salles, comme dans le foyer.

Les grands volumes ont été valorisés, caractérisant le théâtre et susceptibles de répondre à une évolution des usages, à d’autres formes de spectacle et de culture pratiquées dans l’avenir. Certains usages – administration, loges – sont plus compartimentés.

Le bâtiment, conçu pour une maîtrise énergétique maximale, accueille sur ses saillies quatre centrales solaires photovoltaïques.

Les salles

La nouvelle Comédie de Genève comporte deux salles de spectacles, l’une frontale de 500 places et l’autre modulable de 200 places, équipées de dispositifs techniques exceptionnels. Deux salles, pour autoriser à rêver toutes les formes de spectacle.

À l’intérieur de la structure principale de béton viennent s’insérer, au cœur du bâtiment, les deux salles, complémentaires par leur forme et leur taille pour permettre d’infinies possibilités, tant dans la relation entre acteurs et spectateurs, que dans les scénographies et les mises en scène. Afin d’éviter les nuisances sonores et vibratoires de la gare, elles sont appuyées sur des structures indépendantes qui reposent elles-mêmes sur des boîtes à ressorts.

La plus grande salle, conçue pour un jeu frontal, offre une capacité de 498 places. Elle est habillée d’une maille d’acier laqué et la courbe légère des gradins, en une seule volée, permet une visibilité optimale sur la scène autant qu’une forme de connivence entre spectateurs. Les dimensions de la scène et de la cage de scène permettront d’accueillir, et de produire, des créations internationales. Une extension du plancher (proscenium) permet de jouer au plus près du public ou, une fois démontée, d’accueillir une fosse d’orchestre. Régies lumière, son et vidéo, plafonds techniques, passerelles, machineries de levage, tout est combiné pour pouvoir donner vie aux projets les plus variés.

La salle modulable, du type black box, habillée de lames verticales en béton fibré, peut accueillir jusqu’à 250 personnes, selon les configurations, qui peuvent varier grâce à des gradins rétractables. L’équipement technique, avec notamment les passerelles qui surplombent tout le tour du parallélépipède permet un maximum de possibilités d’implantations et de fonctionnement.

Les deux salles disposent d’un dessous de scène de plus de trois mètres. Il est ainsi possible de varier les niveaux de plancher et d’utiliser des dispositifs d’apparition et de disparition.

Une incroyable fabrique pour la scène contemporaine

Entre salles de répétition et ateliers de construction, de peinture et de couture, un tiers du bâtiment est dévolu à la fabrication des spectacles. Scénographie, peinture, lumières, son, perruques, costumes, maquillage, autant de savoir-faire nécessaires au théâtre et qui seront intégrés à sa vie quotidienne.

Et l’architecture permet la valorisation de ce travail. Ainsi, le restaurant du théâtre surplombe le grand atelier de construction où l’on peut voir naître les décors des futurs spectacles.

Le bâtiment comprend également des ateliers de peinture et de couture. Là aussi, les espaces peuvent être adaptés au gré de l’évolution des techniques et des esthétiques.

L’aire de livraison permet d’entrer aisément un camion dans le bâtiment afin d’oeuvrer confortablement et sans gène pour le voisinage. Les circulations entre ces différents lieux et les scènes sont bien sûr facilitées.

Les deux salles de répétition, comme d’autres volumes du bâtiment, sont susceptibles d’accueillir chacune une centaine de spectateurs. Avec les nombreuses loges, individuelles et collectives, elles permettent des accueils en résidence comme l’installation d’un ensemble permanent d’acteurs.

Entretien avec les architectes :
Sara Martin Camara & Laurent Gravier

Votre projet, nommé Skyline, s’inscrit au cœur d’un quartier encore tout à fait virtuel au moment où vous avez dû le concevoir. Comment avez-vous pris en compte cet aspect ?

L’environnement du théâtre est tout à fait différent aujourd’hui de ce qu’il était en 2009 quand nous avons fait le concours et que l’ancienne gare était encore en fonctionnement. Il y avait alors peu d’accroches urbaines pérennes sur le site. Cependant, le projet du quartier de la gare des Eaux-Vives était connu, et c’est le quotidien des architectes de concevoir des bâtiments dans des environnements urbains virtuels. Pour la Comédie, il nous a semblé important de créer un lien fort, une continuité, entre le théâtre et la future esplanade devant le bâtiment. Nous avons fait pénétrer l’esplanade à l’intérieur du théâtre. Et tous les espaces publics intérieurs (hall, restaurant, billetterie, foyers) sont ouverts sur l’esplanade. Nous avons également mis en scène le théâtre sur la voie publique par une mise en lumière des façades et sur la route de Chêne. « Quand on dessine une salle de théâtre, la scénographie commence sur le trottoir parce que c’est là que débute la soirée », disait Jean Vilar, fondateur du Festival d'Avignon. 

En quoi la forme que vous avez donnée au bâtiment, mais aussi ses matériaux, sont-ils pour vous emblématiques d’un théâtre ?

La spécificité de la Comédie de Genève, c’est de rassembler dans un même lieu les espaces de représentation d’un théâtre (salles de spectacles et salles de répétitions) et tous les métiers nécessaires à la fabrication d’une pièce de théâtre (menuisiers, serruriers, monteurs, peintres, sculpteurs, couturières...) à travers des ateliers dédiés à la fabrication des spectacles. Un tiers du bâtiment est dédié à la production des spectacles. C’est assez unique, surtout en plein centre-ville. L’idée est que la forme crénelée du bâtiment exprime la multiplicité des activités qui habitent le théâtre. Le choix s’est porté sur des matériaux bruts avec le verre, l’acier et le béton, qui sont couramment utilisés dans la construction de bâtiments industriels et expriment l’idée d’un lieu de production, telle une usine à fabriquer des spectacles. 

La Comédie est donc un lieu de représentation mais aussi une fabrique de spectacles. Quelles articulations entre ces deux activités avez-vous privilégiées ?

Nous avons voulu montrer que la Comédie est un lieu vivant tout au long de la journée. Cela s’exprime à travers l’architecture même du théâtre. Nous avons créé, en plusieurs occasions, des contacts visuels et spatiaux entre la partie publique et la partie privée du théâtre. Le foyer, conçu comme un passage urbain accessible la journée, exprime l’ouverture du théâtre sur la ville. Le principe des distributions internes du bâtiment place les circulations techniques en façades ouvertes sur la ville. Une relation visuelle forte se noue entre le bistrot, la cuisine et les ateliers de décors, qui ne sont plus cachés. Ces différentes transparences visent à mettre en valeur la création et la production de spectacles. La Comédie est un théâtre dans la ville, et une ville dans le théâtre.  

Propos recueillis par Élisabeth Chardon