Journal

Au plus intime avec « nos parents » de Pascal Rambert

Regards de la dramaturge

10 jeunes femmes, 5 jeunes hommes. 15 jeunes comédiennes et comédiens. « Tout vient d'eux » dit Pascal Rambert, qui leur a proposé de remonter loin, avant leur identité de maintenant, avant leur naissance parfois, de remonter à leurs parents. Il leur a demandé de parler, puis d'écrire. Rambert a ensuite démonté, remonté, réécrit leurs textes pour en faire une fiction. « C'est cette fiction qui s'appelle nos parents. Rien n'est vrai. Tout est réinventé. Tout passe par l’écriture. C’est-à-dire le texte. Et l’interprétation qu’ils en font. Parlée. Chantée. Dansée. Pour arriver peut-être à deux formes de vérité. La leur et celle du théâtre.»

Alors nos parents relève sans doute de l'autofiction théâtrale, cette modalité nouvelle de l'écriture de soi, consciente des effets de fiction qu'elle produit, qui déplie le réel par un travail de l'imaginaire, qui réinvente la vie dans les mots. Mais une autofiction théâtrale inclassable, inédite même. nos parents serait en effet comme une autofiction collective, une écriture de soi chorale. Une façon de mettre en mots et en commun l'histoire de chacun, ou plutôt des histoires dont ils sont le fruit, des histoires d'amour qui les ont conçus, façonnés, qui les ont portés, ou abîmés. L'amour entre leurs parents, l'amour de leurs parents, pour leurs parents. Il y a là des mères tendres, aimantes, des mères envahissantes aussi, des pères séducteurs, d'autres complices ou encore absents. Il y a l'amour qui procure de la joie, de la nostalgie et celui qui fait mal aussi.

–    Nous recevons tous cet amour
–    Non
–    Si, mais pas tous de la même manière

C'est peut-être là la vérité commune à ces récits, ce qui nous touche au plus profond : nous recevons tous cet amour, mais pas tous de la même manière.

De ces histoires individuelles et intimes, Rambert crée un spectacle porté par chacun et par tous. Comme des clones qui seraient tous différents – et tous pareils, parce que tous nés d'une histoire, celle de leurs parents – ils sont vêtus à l'identique, tout de noir et de blanc, les filles parées du même teint pâle, de la même raie au milieu et des mêmes lèvres rouges. Ils forment un chœur, comme un chœur antique, proférant une parole à la fois individuelle et collective, ponctuée d'un chant choral a cappella qui rythme le spectacle. Pour l'entonner, les acteurs se mettent en rond, comme s’ils se recentraient, comme s'il fallait la force du groupe pour entamer un nouvel épisode singulier, particulier, personnel.

De ces histoires ils sont à la fois les narrateurs, les personnages et les metteurs en scène. Ils s'appuient sur le groupe pour les dire – toi, Estelle, tu feras ma mère, toi Antonin, mon père –, pour les mettre en images et en mouvement, « un pied à gauche, un pied à droite ». Car les histoires se croisent et se tricotent et se disent à partir du corps, de leurs corps, dans leurs corps, là où sont inscrits la tendresse, l'amour, et parfois l'abandon.

Ils narrent à la troisième personne, s'adressent aux autres et à leurs parents absents à la deuxième, parlent d'eux-mêmes à la première. Certains imaginent la rencontre, comme s'ils assistaient à la scène originelle, celle dont ils sont issus : Coline raconte ses parents agriculteurs liés par 5 tonnes d'amour ; Davide imagine son père séduisant sa mère à laquelle il crie « ne vas pas vers lui, il va te faire souffrir » – mais si sa mère obtempérait, Davide, lui, ne serait pas là pour nous le raconter. D'autres évoquent les souvenirs heureux – les bras berçant d'une mère, les épaules d'un père sur lesquelles on avance –, d'autres encore la pétrification dans la tristesse, l' « effet immobile », lorsqu'un père abandonnant resurgit, lorsqu'un autre meurt, « tu me manques Papa ».

Le texte de nos parents se déploie dans une langue simple et pourtant raffinée, pensée, organisée, des mots du quotidien dont Rambert fait éclore la poésie. Il charpente les phrases comme il compose les corps dans l'espace. Pour dire l'ordinaire de la vie mais aussi le tragique de l'existence, sans crainte du pathos parce que les mots sont scandés et l'émotion tenue. nos parents est un moment en suspension, entre la profondeur et la surface, qui évoque le plus intime, le plus intérieur, le plus viscéral en se tenant sur l'arête du trouble, au bord de l'émoi.

Arielle Meyer MacLeod

Photo : © Vanessa Rabade