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Entretien avec Yan Duyvendak

Regards de la dramaturge

Yan Duyvendak nous parle de son projet invisible, une série de performances proposées dans l'espace public d'octobre 2019 à mars 2020.

invisible n’est pas un spectacle mais une performance. Pourriez-vous expliquer ce qu’est une performance ?
Non, pas vraiment. La performance est quelque chose de fluctuant, dont les définitions varient selon les personnes qui la pratiquent. C’est bien là sa richesse. Cette richesse est sans doute contenue dans le mot lui-meme : per-forma : à travers les formes. Je pense qu’une des constantes des définitions de la performance, c’est qu’il y a, lors de chaque performance, une prise en compte du réel. C’est-à-dire que si quelque chose tombe, ou quelqu’un arrive ou part, on en tient compte, on fait avec. Il n’y a donc pas, comme on dit au théâtre, un quatrième mur, qui séparerait les acteurs du public et qui mettrait les acteurs dans un monde fictif, autre, séparé. Dans le théâtre, les acteurs ont d’autres règles de jeu que le public, en quelque sorte. Dans la performance, on est dans le même monde, performeurs et spectateurs, et on partage les mêmes règles de jeu.

Pourriez-vous nous dire quel est le dispositif de cette performance ?
invisible est un dispositif léger, qui implique entre 6 à 10 personnes qui sont en même temps les créateurs et les spectateurs d’une petite action réalisée dans l’espace dit "à accès public". Une petite action qui reste (plus ou moins) invisible, pour les usagers du lieu, mais qui est très sensible pour celles et ceux qui l’enclenchent ! Nous avons eu quatre périodes de création, à Lausanne, Groningen, Goa et Belgrade, où nous avons créé et testé des petites actions. Ce qui est invisible à Goa ne l’est pas de la même manière à Belgrade et le sera encore autrement à Genève. Ces actions sont donc reproduites par les spectateurs et les spectatrices à l’aide d’un feuillet d’action qu’ils reçoivent. Ce feuillet d’action contient le « score », donc le scénario de l’action à faire ; un récit d’expérience écrit par un des auteurs du score dans son pays d’origine ; et la mention de l’endroit où l’action a été créée. Lorsqu’on exécute l’action dans sa ville, on mesure son exécution à l’aune de celle décrite dans le récit d’expérience, et le contexte socio-culturel d’origine.

Quel est son enjeu ? Que cherche-t-elle à activer ?
invisible permet aux spectateurs et aux spectatrices de renouer avec le plaisir de faire des petites crasses, d’être légèrement désobéissant. Sans être illégales ou dérangeantes, les actions d’invisible permettent d'expérimenter dans la joie la puissance du collectif et le plaisir des jeux secrets. Elle active de multiples couches de conscience, notamment celles des contraintes sociales et des limites qu'elles nous imposent.

invisible est une performance qui se déroule dans l’espace public. Elle s’inscrit donc dans une forme qui apparaît dans les années 1960. Pourriez-vous nous en dire quelque chose ?
invisible s’appuie sur deux modèles artistiques. D’un côté, le théâtre des opprimés de Augusto Boal, dans le Brazil des années 1950, contestataire, et qui développe le concept du spect-acteur.trice ; de l’autre, les performances de fluxus, nébuleuse artistique mondiale qui voit le jour dès les années 60 et qui, par le biais de petites recettes, des « scores », permet à n’importe qui d’exécuter des actions parfois poétiques, parfois politiques, parfois absurdes, toujours malignes et ce dans le monde entier. 

Propos recueillis par Arielle Meyer MacLeod


Photo : © BAK/Gneborg, 2019