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Alors voilà, ça tombera pas plus bas

Regards de la dramaturge

Autour du spectacle "Ça tombera pas plus bas"

Aïe, ça fait mal. Avec Ça tombera pas plus bas, Amélie Vidon et Alenka Chenuz enquêtent avec humour et empathie sur nos échecs, nos ratés monstrueux et nos actes manqués, ces moments tragi-comiques qui forgent le caractère et marquent nos vies d’un rictus. Décryptage par Annick Morard de ce spectacle à l'affiche du 24 au 27 janvier 2024 à la Comédie de Genève, dans le cadre du Focus S'élancer.


Au plus près du langage
À la fois metteuses en scène et comédiennes, Amélie Vidon et Alenka Chenuz ne cachent rien de leur méthode de travail : leurs spectacles sont conçus à partir d’interviews qu’elles mènent elles-mêmes et dont elles retranscrivent – pour les reproduire ensuite sur scène – chaque hésitation, chaque bafouillement, chaque accroc, chaque élan de poésie et chaque platitude. Une manière pour ces deux artistes de faire surgir le réel sur scène, une façon aussi de travailler leurs personnages par le langage, dans ce qu’il a d’intime et d’éminemment personnel.
 

Une belle palette de ratés
Leur nouveau spectacle – qui n’est que le deuxième de la cie Alors voilà –  traite de l’échec. Cet échec dont, paraît-il, on ressort plus fort mais qui, en réalité, laisse au fond de la gorge un goût amer et une sensation de brûlure au creux de l’estomac. Amélie Vidon et Alenka Chenuz ont sélectionné pour nous une magnifique palette de ratés : travail, amour, sport ou famille, tout est sujet à se trouver minable ou ridicule, se prendre un vent ou une gamelle, trébucher, tomber, se relever, tomber encore. Le spectacle entremêle des récits de foirades petites ou grandes, il fait de la chute son principe dramaturgique, scénographique et philosophique - la figure du clown n’est d'ailleurs jamais loin.
 

Le goût de la farce
Les deux artistes ne sont pas seules à pratiquer un « théâtre du réel » – le spectacle Mon petit pays de la cie Kokodyniack, créé à la Comédie en octobre 2021, était de la même veine – mais elles sont seules, peut-être, à le faire avec une telle drôlerie. À la sincérité des personnages s’ajoute un goût de la farce, une théâtralité joyeuse qui colore de rouge et décore de paillettes les histoires et récits même les plus sombres. Sur scène, ça éructe, ça gémit, ça sanglote, ça se mouche mais surtout ça dédramatise, ça rit, ça chante aussi. Le mouvement est toujours double, entre élans enthousiastes et déceptions saumâtres, avec un dosage minutieux entre la nécessité de renoncer à un rêve et le besoin d’en rire.

Festif et joyeux, un spectacle qui fait du bien avec de tout petits riens.


Annick Morard
Responsable des publications de la Comédie de Genève