Journal

Une autre vie est possible

Regards de la dramaturge

Autour du spectacle EXTRA LIFE

Gisèle Vienne étire l’instant présent, déplie le temps et révèle des bribes de vie cachées, parallèles ou additionnelles, à travers son langage unique, protéiforme, qui allie danse, jeu, synthétiseurs et lasers, poupées inquiétantes et doubles animés. Un travail sur la perception, pour déjouer ses mécanismes et apprendre à voir autrement, à voir mieux.

Dans EXTRA LIFE, à l'affiche de la Comédie du 21 au 24 février 2024, la fumée recouvre la scène, déborde sur la salle, gravit les gradins. Les phares d’une voiture tentent une percée progressive dans l’obscurité brumeuse. Il est 5h du matin, Clara et Felix, un frère et une sœur, ont dansé toute la nuit et prolongent encore un peu le plaisir d’être ensemble, la satisfaction d’être en vie.

Monstres intérieurs

Dans cet après-fête instable, entre chien et loup, une inquiétante étrangeté règne et se répand, renforcée par une émission radio sur les extra-terrestres et, plus encore, par ce que le frère et la sœur portent en eux de cauchemars intérieurs. Enfants, ils ont subi des viols, ce soir enfin ils l’ont verbalisé. Alors ils restent ensemble, proches comme jamais, se débattent côte à côte avec leurs monstres, leurs spectres, leurs doubles. Entre rires complices et gémissements douloureux, ils prolongent la nuit, vers une aube incertaine.


Regarder autrement

Gisèle Vienne travaille la perception, la communication non verbale, la minutie des gestes dans un langage protéiforme qui mêle danse, jeu, lumières et sons. Ses comédiennes et comédiens se déplacent au ralenti, leurs mouvements sont comme découpés, fragmentés, et  le temps se déplie avec les corps. Des faisceaux lumineux découpent et redessinent l’espace en une architecture sans cesse renouvelée, immersive, tandis que l’environnement sonore offre des distorsions supplémentaires à la réalité de la scène. Il s’agit de donner à voir et à entendre différemment paroles et mouvements, dans la fulgurance d’une sensation.


De l’autre côté du miroir

Extra life est une errance dans l’inconnu, un spectacle total qui ouvre une brèche temporelle, mêle le passé au présent, le réel à l’illusoire, distord le temps et l’espace. « C’est comme si je passais sous la surface » avoue Clara, qui souffre d’identités dissociées. Entre spasmes, rires, pleurs et danses, le frère et la sœur et leurs doubles nous emportent avec eux, de l’autre côté du miroir, vers les ombres, les doutes, la violence conjurée. 


Annick Morard
Plume de la Comédie de Genève