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Une danse qui palpite

Regards de la dramaturge

Un article d'Agnès Izrine du journal La Terrasse, autour du spectacle "Chapter 3 : The Brutal Journey of the Heart"

Avec le troisième opus de leur série sur les états du cœur, Sharon Eyal et Gai Behar inventent de nouveaux « fragments d’un discours amoureux ». Une danse qui palpite.

En trois chapitres d’une danse enfiévrée, à la beauté ténébreuse, Sharon Eyal et Gai Behar traquent les intermittences du cœur et les affres de l’amour. Si les deux premiers chapitres, OCD LOVE et LOVE chapter 2 s’inspiraient d’un poème slamé de Neil Hilborn et traduisaient dans les corps les troubles de l’esprit (OCD étant l’acronyme anglais de TOC – Troubles Obsessionnels Compulsifs), le Chapitre 3 : The Brutal Journey of the Heart résume, d’une certaine façon, l’ensemble du projet de leur compagnie nommée L-E-V (cœur en hébreu). Dans ce Chapitre 3, The Brutal Journey of the Heart exit les TOC, restent les sensations et les émotions qui se répercutent dans la chorégraphie de Sharon Eyal et en sont toujours le sujet principal, arrimé solidement à une pensée, ou plutôt une édification du corps collectif qui pourrait être considéré comme sa marque de fabrique. Pour autant, l’obsession n’a jamais été si présente que dans cette dernière création, qui déploie, au son d’une musique néotropicale ou faussement brésilienne signée Ori Litchik, une sorte de mouvement perpétuel partant du centre du corps et rayonnant jusqu’aux extrémités, ondulant de concert.


Une allure ineffable

Plus que jamais, on retrouve cette élégance des jambes allongeant l’allure comme de jeunes chevaux ombrageux, ou effarouchés, et la démarche altière des interprètes au genre indéterminé, si caractéristiques de son style et si séduisantes pour les spectateurs. Avec son écriture tirée au cordeau, qui sait pourtant dégager une animalité et une sensualité parfois crue, Sharon Eyal s’inscrit bien dans la suite de ses pièces précédentes. Désirs insatiables, glissements en porte-à-faux et courbures téméraires, les pulsions corporelles épousent les pulsations de la musique aux accents chaloupés. Les articulations vrillent, la puissance de la danse subjugue et glace. Impérieux, sur demi-pointes, vêtus d’une seconde peau aux dessins semblables à des tatouages autour d’un cœur rouge signés Maria Grazia Chiuri, directrice artistique de la Maison Dior, les interprètes disent les palpitations de la vie.


Agnès Izrine, pour le journal La Terrasse, 19 août 2022