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Ces amants-là forment un chœur – entretien avec David Geselson

Regards de la dramaturge

Arielle Meyer MacLeod

Ces amants-là forment un chœur, un duo déroulant dans un flot de tendresse l’histoire de leurs vies qui n’en font qu’une, à l’unisson mais pas tout à fait, avec un léger battement, un battement de cœur à cœur, fait de minces différences, du heurt des souvenirs ou des sentiments qui parfois se contredisent.  

Un souffle régulier qui à l’aube de leur vie commune a bien failli s’éteindre, parce qu’un soir, prise de suffocation devant Scarface, la jeune femme a cru sa dernière heure arrivée.

Pièce de jeunesse de Tiago Rodrigues, Chœur des amants, à l'affiche de la Comédie du 4 au 15 octobre 2023, est un instant en suspension, un écrin de douceur. Le récit choral et intime d’un couple, incarné par Alma  Palacios et David Geselson.


Chœur des amants est une performance constituée de quatre chants, dit David Geselson rencontré cet été à la terrasse d’un café du marché d’Aligre dans la moiteur parisienne. Tout l’art de Tiago est d’avoir choisi un genre aux antipodes du réalisme pour faire le récit intime d’une réalité qui lui appartient. Il invente un dispositif très formel, et contraignant, pour mieux faire jaillir le réel et sa poésie – celle d’un couple qui va bien, et qui s’aime.

Le premier chant a été écrit en 2006, les deux suivants en 2007, continue l’acteur, et Tiago les a gardés tels quels, sans les retoucher. Le dernier, il l’a écrit 12 ans plus tard, avec nous.

Il nous a dit voilà, les trois premiers existent, et le 4ème n’est pour l’instant qu’une idée. Je voudrais que l’histoire se poursuive au-delà de la mort des amants, je voudrais englober toute une vie dans une partition totalement synchrone.  

Et on a commencé à discuter. De tout. De l’amour et des forêts, d’Al Pacino et Scarface en se disant qu’il faut peut-être ne jamais en regarder la fin parce que ça porte malheur. Pendant 5 jours on a parlé et regardé des films.  Et deux semaines plus tard, il est arrivé avec le texte du 4ème chant dans lequel tout en prolongeant le cadre formel des trois premiers, il avait glissé nos discussions et tissés toutes nos voix, celle d’Alma, la sienne, la mienne. Un vrai cadeau.

De ce duo choral formé par David Geselson  et Alma Palacios émane une complicité. Une parole partagée à l’unisson dans laquelle subsiste pourtant une part d’individualité. Une forme en mouvement perpétuel.  

Je demande à David Geselson comment il et elle ont travaillé cette choralité pour éviter l’exercice de style.  

Ce qui est très beau, répond-il, c’est que ce travail choral ressemble exactement à ce qui se passe dans un couple, où il y a forcément des désaccords sur lesquels il faut apprendre à s’accorder. Alma et moi créons chaque soir un couple dont l’un voudrait parfois aller plus vite quand l’autre prend le temps, ou inversement, mais qui doit trouver un terrain d’entente pour dire le texte ensemble, à l’unisson – là je vais dans ton sens, et maintenant tu me suis. Comme une danse amoureuse de deux amants de théâtre, une danse au-delà des mots. Sans rien dire on se parle, dans un dialogue secret caché dans les rythmes, les respirations et dans la façon dont le corps s’engage.

Et tous les soirs, pour garder notre singularité tout en suivant le rythme de l’autre, on réinvente cette danse, on se surprend, on improvise à l’intérieur de ce cadre extrêmement contraint. C’est jouissif.

Pour que le spectacle ne devienne pas une partition figée – et c’est arrivé parfois, Tiago nous avait mis en garde, il disait attention vous allez devenir des professionnels de la choralité, et vous ennuyer – nous réinsufflons du danger, pour être toujours dans l’instant présent, vivants.

C’est un exercice difficile parce que, contrairement à une pièce dialoguée où chacun peut faire une proposition que l’autre a le choix de suivre ou pas, l’unisson implique de s’inclure mutuellement à chaque pas.

Et cette émulation réciproque engendre un plaisir fou à jouer ensemble – à l’image de la complicité amoureuse, de ses joies et ses écueils. On s’émeut l’un l’autre. Et tout cela existe par la grâce du dispositif, très simple, inventé par Tiago – un chœur d’amants.