Journal

Contempler la vie avec une intensité nouvelle

Regards de la dramaturge

À propos de LOVE de Alexander Zeldin

À l'affiche du 4 au 6 novembre 2021 à la Comédie de Genève, LOVE de Alexander Zeldin invite à contempler la vie avec une intensité et une dignité nouvelles. Bouleversant le public anglais, cette production du National Theater de Londres a été unanimement acclamée par la critique.

Photo : ©Sarah Lee

Nous sommes en Grande-Bretagne, dans un local loué par les services sociaux. Il abrite quelques personnes de tous âges et de diverses origines : migrantes et migrants, personnes aux chômages ou à la retraite sans ressources. L’endroit est inconfortable mais passager, le temps de pouvoir reloger (du moins en principe) celle et ceux qu’il accueille.

Alexander Zeldin nous propose d’entrer sous son toit et d’y partager en toute proximité quelques moments drôles et touchants, profondément humains. Ce temps du séjour, traversé de tensions et d’affects, est aussi celui de l’attente. Attente que l’eau se mette à bouillir, que la salle d’eau se libère, qu’on puisse faire la cuisine à son tour. Attente de pouvoir repartir ailleurs, pour y commencer ou y finir une vie qui ne se réduirait pas à la satisfaction des besoins les plus élémentaires. Les humiliations de la promiscuité, les tentations du conflit et de la violence, sont ici des épreuves palpables. Ce temps qu’on croirait vide s’avère chargé des efforts de chacun pour rester digne – porté par des acteurs et actrices exceptionnelles, il est intensément sensible, et reste imprégné de rêves. À petites touches, à travers l’extrême simplicité des échanges et des situations quotidiennes, le spectacle reconvertit l’information en émotion, redonne un sens concret à des mots qui s’usent parfois dans nos consciences à force d’être employés.

Voici ce qu’en dit Alexander Zeldin :

« Après ma dernière pièce, Beyond Caring, où nous explorions des histoires intimes d’isolation et d’insécurité dans un environnement très public – un groupe chargé du nettoyage de la zone de chargement d’une usine, astreint à des horaires de nuit – j’ai ressenti le besoin très fondamental, très simple, de passer à un environnement privé, à un monde d’intimité familiale. J’ai trouvé mon inspiration dans la lecture de Steinbeck, mais aussi dans Louons maintenant les grands hommes, de James Agee et Walker Evans, dans leurs récits sur la vie de famille et sur l’amour pendant une époque de crise. Et puis, au cours d’une de ces rencontres qui semblent être plus qu’un simple hasard, Bill Rashleigh, qui travaille pour Shelter (le plus important organisme caritatif britannique d’aide au logement), m’a passé un rapport intitulé “Christmas families in B&Bs” (“Noëls familiaux en chambres d’hôte”) : il y était question de familles qui vivent comme dans des limbes, dans des logements d’urgence pendant les semaines qui précèdent Noël. J’y a trouvé, dans un langage très direct, des témoignages, des voix qui parlaient en toute sincérité de la tendresse d’un parent pour son enfant, de la peur, du combat d’un individu contre la société, et surtout, qui parlaient d’amour.

Une étape cruciale dans la création de LOVE a consisté à rencontrer ces familles, à leur rendre visite chez elles pendant plus de deux ans, à les impliquer à différents moments dans les répétitions, dans des improvisations basées sur les scènes de la pièce. Cependant notre aspiration n’a jamais été de produire une sorte de théâtre documentaire, et encore moins d’affirmer quelque chose comme un thèse, politique ou autre. Je crois plutôt que le processus théâtral offre des conditions qui nous permettent, à certains égards, d’être plus proches de nous-mêmes et de porter un regard neuf sur notre réalité sociale, politique, intime, pour que nous puissions aspirer à ressentir la vie avec une intensité qui soit digne de sa véritable nature, tragique et miraculeuse. Les histoires que je cherche à raconter sont celles du quotidien, celles de luttes qui semblent ordinaires dans la Grande-Bretagne d’aujourd’hui. Cela étant, je reste par-dessus tout convaincu que ce travail répond à une invitation toute simple que nous suggère le sens originel du mot “théâtre”, theatron : il s’agit de “contempler” la vie avec une intensité nouvelle. »

Alexander Zeldin