Journal

Jeux de déséquilibre avec Marc Oosterhoff

Regards de la dramaturge

Autour du spectacle "Préparation pour un miracle"

Décryptage par Annick Morard de Préparation pour un miracle de Marc Oosterhoff, qui a obtenu un des Prix suisses des Arts de la scène 2023. Ce spectacle est à l'affiche du 7 au 15 décembre 2023 à la Comédie de Genève.

L’homme sur la scène, qui aligne magie et catastrophes, voudrait bien ne pas être là, sortir de la lumière. Tel un héros malgré lui, il tente de s’échapper, mais toutes les issues qu’il envisage se révèlent facétieuses. À peine a-t-il passé une porte qu’il réapparaît par une autre. Même les perches du théâtre se liguent pour le ramener en scène.

Dans ce numéro de haute voltige circassienne, Marc Oosterhoff fait appel à la magie pour dévoiler un monde surréel et créer un personnage hybride qui doit autant à Camus ou Beckett qu’à Buster Keaton. L’artiste a plus d’une corde à son arc, et il les utilisera toutes : danseur, mime, magicien, acrobate, acteur et metteur en scène, Oosterhoff n’a peur de rien. Il tente le tout pour le tout, prend des risques qui semblent insurmontables au commun des mortels. Dans la salle, les oh et les ah fusent, les cris d’effroi et de soulagement se succèdent, la tension est palpable, électrique, et ne se relâche qu’à travers le rire.

Jeux d’équilibres et, plus encore, de déséquilibres, Préparation pour un miracle est comme une prémonition, l’attente inquiète de ce moment de bascule où tout peut arriver.

Un homme entre sur scène, comme perdu, désorienté. Dans cet espace qu’il méconnaît, l’individu n’est pas à son aise et cherche désespérément à partir. Ses tentatives – systématiquement avortées – de quitter les lieux témoignent d’un mal-être, d’une indisposition, d’un rejet ou même, peut-être, d’une peur que fait naître sa présence au plateau. Mais sa solitude sur la scène n’est qu’apparente. Les objets, la matière, la technique – tout ce qui, habituellement, relève de l’inanimé – semblent s’être éveillés au monde et le désigner comme celui qui doit être là. Ils agissent et attaquent, bousculent cet homme qui veut partir, s’acharnent à le remettre en selle et en scène. L’artiste, seul contre la machine. L’artiste, seul face à ses peurs. L’artiste, forcé à collaborer avec les engins, la technique. L’artiste, forcé à se confronter au public, à affirmer sa présence, son essence.

Les épreuves s’enchaînent, herculéennes. C’est qu’on ne devient pas artiste, ni héros, en un coup de cuiller à pot. Mais alors, comment devient-on artiste ? À force de confrontations ? D’échecs, de fuites, de tentatives d’être soi, de tentatives d’être un autre ? Et au fait : faut-il forcément être quelqu’un ? Se démarquer, se singulariser ? La scène de théâtre serait-elle l’espace idéal pour s’opposer à l’injonction sociale d’être « quelqu’un » ?

Préparation pour un miracle fait tourbillonner ces questions de la salle à la scène, de la fosse au plafond, et affirme comme une évidence l’envie toute simple, commune et teintée de mélancolie, de se fondre dans la masse.

LA MAGIE NOUVELLE

On considère que la magie « moderne » apparaît en 1845, lorsque Jean-Eugène Robert-Houdin ouvre à Paris le Théâtre des Soirées Fantastiques. C’est la première fois qu’un artiste présente des tours de magie face à un public qui sait que le magicien n’a pas de vrais pouvoirs, qu’il est un illusionniste. Du point de vue de Robert-Houdin, « le magicien est un comédien qui joue le rôle d’un magicien ». On est donc véritablement du côté du spectacle, dans lequel le magicien est l’élément central, joue le rôle principal. Dans une succession de numéros, le magicien présente les événements magiques comme étant issus de sa volonté : il est ainsi le centre de l’action magique, on vient s’émerveiller de son savoir-faire.

La magie « nouvelle », théorisée notamment par Raphaël Navarro, Valentine Losseau et Clément Debailleul de la compagnie 14:20 au début des années 2000, se définit comme « un art dont le langage est le détournement de la réalité dans le réel » – le « réel » décrivant le monde physique et objectif, et la « réalité » notre perception de ce réel. Autrement dit, la magie nouvelle s’amuse à tromper notre perception de l’espace et du temps, à nous faire douter de ce qui se déroule devant nos yeux. L’artiste de magie nouvelle crée des récits, des histoires, des spectacles qui rappellent ceux de danse ou de théâtre, auxquels il apporte un souffle de magie. Le magicien n’est plus nécessairement au centre de l’action, dans une succession de numéros, mais intègre un récit ou une dramaturgie. La magie nouvelle révèle alors tout son potentiel théâtral et narratif, dans un désir avoué et assumé de réenchanter le monde.


Annick Morard
Rédactrice de la Comédie de Genève