Journal

Entretien avec Eric Devanthéry

Regards de la dramaturge

Autour du spectacle "Un ennemi du peuple"

Rencontre avec Eric Devanthéry à l'occasion du spectacle Un ennemi du peuple d'après Henrik Ibsen, à l'affiche de la Comédie de Genève du 02 au 11 novembre 2023.


La scène, dans le spectacle, est inondée…

Oui, c’est comme si l’espace bourgeois prenait l’eau, dans un univers suintant et malade.

Un monde dans lequel chacun a déjà mis ses bottes tout en continuant à dire que tout va bien. Le Titanic en somme, qui aurait déjà passé sous la ligne de flottaison.

Lorsque la pièce commence, le délitement est non seulement déjà installé, mais il est vécu comme un état presque normal.


Les classiques sont nos contemporains, dit-on souvent. L’adage se vérifie de façon saisissante avec cette pièce, écrite en 1893.

Dans le microcosme de cette ville de province se rejoue exactement ce qu’on observe aujourd’hui à l’échelle planétaire. Les eaux des bains thermaux, dont dépend entièrement l’activité économique de cette petite ville, sont contaminées, et tous, le lanceur d’alerte Thomas Stockmann comme sa sœur qui est maire de la ville, connaissent la vérité. Mais chacun en tire des conclusions différentes, selon que le point de vue est économique, sanitaire ou citoyen.

Lors de la création du spectacle, nous sortions en plus de la crise sanitaire. La question virale venait s’ajouter à la catastrophe écologique pour faire résonner le texte de l’intérieur.


Au-delà de la question écologique, ce qui est très contemporain dans cette pièce est aussi son propos politique. On a l’impression que ce qui prend l’eau, c’est la démocratie…

Oui. La maire et la presse veulent censurer la vérité, et de son côté Stockmann, le lanceur d’alerte qui n’est pas entendu, prend une posture à la fois christique et autoritaire pour affirmer : le seul pouvoir qui vaille est celui des intelligents sur les imbéciles.

Ce qui est vertigineux, c’est que Stockmann finit seul contre tous. C’est de l’impuissance citoyenne dont il est question ici : Que faire en tant qu’individu dans une société ? La pièce ne donne pas de réponse et nous laisse avec nos questions. Je cherche quant à moi à donner à voir ces contradictions et ces ambivalences, à mettre à jour les mécanismes qui amènent finalement un personnage comme Stockmann à tenir des discours dans lesquels résonnent des accents totalitaires. 

Dans cette pièce, il n’y aucun héros, ni positif ni négatif. Personne ne se libère. Tous se révèlent impuissants et sont renvoyés dos à dos.
 

Propos recueillis par Arielle Meyer MacLeod